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De sombres puissances, haineuses et froides, déterminent la destinée des hommes.

Jean Lesage.

Rico ne voyait pas à l’intérieur de l’illusion. Il savait que Ben était dans le même cas et ne le voyait pas plus qu’il ne pouvait apercevoir Nervi ou Zentz. Rico siffla le signal d’avertissement en espérant que Ben et Crista ne se mettraient pas à courir et ne sortiraient pas des limites de l’image, ce qui les rendrait visibles et exposés face à la marée qui commençait à monter. Il se baissa lorsque Nervi tira.

Il est temps de lui envoyer une petite surprise, se dit Rico.

Il rampa pour se mettre un peu mieux à l’abri.

Nervi arrosa systématiquement sous le feu de son arme les rochers qui cachaient Ben et Crista. Zentz, pendant ce temps, couvrait ses arrières, tenant la douzaine de Zavatariens locaux en respect. Nervi cessa de tirer, mais demeura sur le qui-vive dans la même position.

— Il faut économiser les charges, dit-il à Zentz. Nous risquons d’être là un bon moment.

Il n’y avait aucun bruit à l’exception de leur respiration sifflante, du grésillement du ressac et des cliquetis secs du canon de l’arme en train de refroidir.

Rico était fermement entouré à la taille par un tentacule de varech aux ramifications bourgeonnantes. Cela lui rappelait les bras de son père quand il était petit et qu’il le soulevait du pont à la volée. Les ramifications soyeuses évoquaient la paume d’une main de femme sur son ventre, couvrant son nombril et le serrant contre elle, à genoux derrière lui.

Une image de Snej lui traversa soudain l’esprit. Au même moment, le visage de Snej apparut dans les airs à une dizaine de mètres de Nervi, au-dessus de la gyflotte que la marée montante venait lécher en sifflant par-dessus les bottes de Nervi.

— Qu’est-ce que c’est encore que…

Nervi avança d’un pas, puis de deux, entraînant Zentz à reculons avec lui. Zentz jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et pâlit en voyant Snej. Puis il consacra de nouveau toute son attention à la défense de leurs arrières.

— Cette rouquine… balbutia-t-il d’une bouche pleine de salive. Où est le reste de son corps ?

Rico s’aperçut qu’il pouvait renforcer l’intensité de l’image en fixant son regard sur elle pour mieux se concentrer. C’était comme une immense bobine d’énergie qui puisait son énergie en elle-même, s’affinant et s’éveillant peu à peu. Après avoir pris deux ou trois lentes inspirations relaxantes, il put matérialiser le reste du corps. Vêtue de sa combinaison verte, les mains sur les hanches, d’une taille légèrement plus grande que dans la réalité, elle regardait Nervi dans les yeux. Rico se demandait s’il serait capable de la faire parler.

— Eh bien, fit Nervi. La voilà entière, maintenant.

Jetant un nouveau coup d’œil par-dessus son épaule, Zentz commença à haleter sur un rythme mouillé et précipité. Rico, qui se trouvait à une douzaine de mètres de là, l’entendait malgré le bruit du ressac. Zentz colla encore plus fort son dos à celui de Nervi.

— Merde alors, gémit-il. Un corps qui pousse à partir d’une tête. Allons-nous-en d’ici, Nervi. Retournons à l’hydroptère.

— Fermez-la.

Nervi cessa d’avancer et scruta la partie de la grève qui s’étendait derrière Snej. Il voyait à peu près les mêmes choses que Rico. Une plage étroite de galets noirs coincée entre la mer et la falaise, quelques gros rochers de basalte et l’épave de l’hydroptère recouverte des lambeaux d’une gyflotte qui n’avait pas explosé. Au loin, en direction du sud, la mer immense brillait contre les falaises noires comme un magma luisant aux reflets d’émeraude.

— Où sont-ils passés ? demanda Nervi. Il me les faut.

Un signal sifflé à deux tons avertit Rico que les Zavatariens étaient prêts à renouveler leur assaut contre les deux hommes. Il s’aperçut alors que Snej ne projetait pas d’ombre.

Je ne sais pas si je vais pouvoir arranger cela aussi. C’est déjà assez dur de la faire parler.

L’ombre allait de ses pieds, sur la peau de gyflotte, jusqu’à l’endroit où celle-ci rencontrait la plage, pas plus. Elle était parallèle aux autres ombres qui se profilaient, mais s’interrompait brusquement au bord de la peau. Par bonheur, la marée envahissait déjà les bords de l’illusion, noyant les jeux de lumière. Avec un peu de chance, Nervi ne s’apercevrait de rien.

Rico sourit. Il se concentrait sur Snej tout en adressant rapidement, dans un recoin de son esprit, un remerciement à Avata.

— Lâchez votre arme, dit Snej. C’est fini. Mais aucun son n’était sorti de ses lèvres.

— Merde ! laissa échapper Rico.

Zentz réagit aussitôt par une giclée de laser. Ce fut si rapide que Rico perdit momentanément le contrôle de l’illusion tandis qu’un bloc était pulvérisé à un mètre de lui. Avata rétablit aussitôt l’image. Nervi tira aussi et avança d’un nouveau pas.

— Elle n’est pas réelle, dit-il à Zentz. Faites attention.

— Nous avons dû être poudrés, fit Zentz. C’est cette foutue gyflotte…

— Vous avez déjà vu deux poudrés partager la même hallucination ? demanda Nervi en s’arrêtant à un mètre de Snej et en plissant les yeux.

— Il y a quelque chose qui n’est pas normal.

Rico n’osait plus respirer. Si Nervi franchissait le bord de l’image, il verrait Ben et Crista et deviendrait à son tour invisible aux yeux de Rico. Les alentours de la gyflotte écrasée étaient un dôme d’imagination, de lumières hypnotiques et de sculptures vivantes.